Description

L’exposition Then Again, de Karen Trask, présente une nouvelle série de collages créés à partir de lithographies imprimées il y a plusieurs années ainsi qu’une sculpture qui prend la forme d’un grand bateau construit à partir de couvertures et de pages de dictionnaires.


Statement

Then Again résulte d’un échange intime entre moi, le paysage, le passé et les mots eux-mêmes. Je me demande si c’est moi qui change ou si ce n’est pas mon environnement qui se transforme. Jeune artiste, j’ai développé une pratique en lithographie et fabriqué mon propre papier. J’ai voulu redonner vie à certaines lithographies après les avoir extirpées d’une pile destinée au recyclage. Ce regard neuf porté sur d’anciens travaux, déchirés et froissés, fut déterminant dans la création de cette nouvelle série de collages.

Je m’intéresse depuis longtemps au papier, à sa fabrication et à sa relation aux mots. Je suis fascinée par le pouvoir des mots et leur poésie, par le rythme et l’omniprésence des mots dans l’environnement. Ici, tout l’espace vierge du papier qui domine les collages m’apparaît comme la métaphore du silence – un espace pour accueillir le son, un support pour le texte.

Interior Passage est une sculpture en forme de bateau qui représente la proue d’une épave échouée. Je l’ai fabriquée à partir de dictionnaires dont les couvertures se défont et dont les pages s’enroulent en de longs filaments telles des algues. C’est après avoir récupéré mon premier dictionnaire dans un bac à recyclage que j’ai commencé un long travail de filage à partir de pages de texte. J’ai d’abord pensé que ce travail portait sur le langage et l’impuissance du livre à le contenir. Mais c’est beaucoup plus que cela. La sculpture évoque la fin d’une époque, la fin du dictionnaire en tant qu’objet physique.

Un dictionnaire ne peut contenir toute une langue. Il n’en est jamais qu’une ossature, une suite de mots échoués écrits dans une langue qui a déjà évolué.

Tout comme la recette n’est pas le plat, ni sa préparation, ni sa dégustation, un livre n’est pas la langue.

Les mots sont partout autour de nous, telle une rivière dans laquelle nous nageons. Au fond, ce travail porte sur la transformation.

Karen Trask, traduction Francine Lalonde

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« ….Avec les pages, tu files des cordes qui te serviront d’amarrage. On dirait des veines que tu fais glisser sous tes doigts. De l’atelier, tu ne vois rien de ce que l’océan cache. Mais tu rêves qu’en y plongeant ses cordages, toutes les choses auxquelles tu tiens s’y emmêlent comme des algues. Alors tu n’auras plus qu’à tirer et ouvrir grand les bras pour les ramasser.

Tu sais que ça n’arrivera pas. Tu le sais. Au moment où tu prendras la mer, l’eau remontera le long des cordes pour s’infiltrer dans le bateau. La peau détrempée de la coque s’amollira jusqu’à se dissoudre, laissant l’armature nue comme le squelette d’une baleine. Cette idée t’a longtemps mise en colère. Mais la colère est passée. Maintenant, tes gestes se font amples, légers. Tu tisses, même si c’est pour rien, même si c’est pour que personne ne voie jamais ni le bateau, ni les cordes, ni tes rêves. Il y a un certain soulagement à admettre que tout finit par se désagréger. Et que, dans cette dissolution, quelque chose de nouveau peut naître. Tu captures ce moment de transition, ce point où le tangible s’efface, où l’oubli et la mémoire se confondent. »

texte : Céline Huyghebaert




Publications

Where the Words Go : Karen Trask
Nancy Ring & Charlotte Jones (2010). Jones, Charlotte; Ring, Nancy. Where the Words Go : Karen Trask. Corner Brook, Nfld: Sir Wilfred Grenfell College Art Gallery Memorial University of Newfoundland, 2010.

Exhibition catalogue for “Where The Words Go” (2010).

Scale and Wonder in The Recent Work of Karen Trask
Nancy Ring (2009). Montréal, p. 6.

The author presents an analysis of the following works: Reading Proust (2005), Proust’s Bed: Waiting for a Kiss (2006), Cette Nuit Défaire (2008).