Texte du carton d’invitation (English translation below)
L’ombre et la forme rassemble des œuvres de Karen Trask, réalisées depuis 1989. L’exposition souligne la fascination de l’artiste pour des matières premières fluides, mobiles et modulables : l’eau, l’air et la lumière. Karen Trask évoque l’impossibilité de fixer le temps et affirme l’importance des mots, du faire et du toucher. Les gestes répétés d’un travail patient et continu pour produire une image, un objet ou une forme inscrivent l’œuvre de Karen Trask dans une pratique associée au processus, à la durée et à une manifestation subtile de l’érosion. Les sculptures, les images photographiques, les vidéos, les objets et les mots de cette exposition traduisent ce que l’artiste qualifie de « petits riens » : ces expériences insolites où la simplicité a trouvé une forme. Sensible au processus de création et à la notion de temps dans l’œuvre, Nicole Gingras signe le commissariat de l’exposition et accompagne l’artiste dans sa réflexion.
Shadow and Form brings together works by Karen Trask from 1989 to 2014. The exhibition underlines the artist’s fascination for the fluid and transformable nature of the primary materials: water, air and light. In her work, Karen Trask evokes the impossibility of stopping time, affirms the importance of words and the process of making and touch. Repeated gestures of a patient and continuous labour to produce an image, an object or a forme inscribes the work of Karen Trask in a practice associated to process, to duration and a subtle manifestation of erosion. The sculptures, the photographic images, the videos, the objects and the words of this exhibition translate what the artist qualifies as <little nothings>; these unusual experiences where simplicity finds a form. Sensitive to the process of creation and the notion of time in a work, Nicole Gingras is the curator of this exhibition, accompanying the artist in her reflection.
Texte sur le mur
L’ombre et la forme rassemble treize œuvres de Karen Trask, réalisées depuis 1989. Cette exposition souligne la fascination de l’artiste pour l’eau, l’air et la lumière. Karen Trask explore l’impossibilité de fixer le temps et affirme l’importance des mots comme ombres portées par l’imaginaire et la mémoire. L’acte de faire et de défaire, le toucher, les gestes répétés d’un travail patient et continu pour produire une image, un objet ou une forme inscrivent l’œuvre de l’artiste dans une pratique associée au processus où la durée joue un rôle crucial. Par exemple, la fabrication d’objets de papier fait à la main ponctue la production de Karen Trask depuis le début des années 1980. Faire avec les mains est essentiel : c’est une manière pour l’artiste de voir les choses, les formes ou les idées se développer dans le temps.
Les sculptures, les images photographiques, les vidéos, les objets et les mots de cette exposition traduisent ce que l’artiste qualifie de « petits riens » : ces expériences insolites où la simplicité a trouvé une forme. En près de trente ans de travail d’atelier, Karen Trask a développé un corpus d’œuvres où l’écriture, la lecture, l’observation, le tissage et le filage sont mis en œuvre pour tenter de saisir ce qui passe, glisse ou défile. L’artiste nous offre une œuvre où les mots sont des images et des formes, où « nier » est le reflet de « rien ».
Karen Trask vit à Montréal. Elle expose au Québec et à l’étranger. Ses œuvres sont appréciées pour leur singularité et leur fragilité ; on les retrouve dans de nombreuses collections publiques et privées.
Nicole Gingras, commissaire
Texte : Outil de médiation
Peut-on fixer une ombre, animer une photographie, suspendre le temps ? Ce sont des questions qui traversent l’œuvre de Karen Trask et qui se déploient dans l’exposition L’ombre et la forme.
Des formes sont déposées au sol ou sur un socle. D’autres flottent dans l’espace ou glissent sur les murs. Ensemble, elles créent un espace d’interactions que le visiteur peut embrasser du regard, saisissant la fluidité de différents mouvements, de constantes métamorphoses et une diversité de médias : photographie, sculpture, vidéo, cinéma d’animation, tissage, écriture. Le visiteur notera un intérêt de l’artiste pour la fabrication, rappelant que Karen Trask est sculpteure. Nombreux sont les objets qu’elle a façonnés : une image photographique est assemblée selon une technique de tissage ; une forme est créée par tressage ou moulage de papier. À l’origine de plusieurs des œuvres exposées, un matériau est privilégié : le papier fait main, fascinante matière pour sa relation au temps, dans sa durée et son processus.
faire
Faire avec les mains est essentiel pour Karen Trask. C’est une manière de voir les choses se développer dans le temps. Voir avec les mains révèle une façon d’assembler images, formes et mots, d’évoquer souvenirs, sensations et idées. La main et l’œil, ces inséparables complices, s’unissent pour dévoiler à quel point tout est ici une question de toucher.
Le travail, la présence des mains sont donc manifestes dans cette exposition. Il y a la main qui a d’abord tourné les pages d’un dictionnaire, les a détachées et assemblées pour réaliser un long fil de papier qui, enroulé, forme Où vont les mots, cette fascinante boule de papier d’un mètre de diamètre — présence simple et compacte, bien que toutefois percée d’un trou, d’un vide étrange. Il y a aussi la main qui a préparé le papier avec lequel sont fabriquées les lettres animées en vidéo de Les petits riens ou les caractères japonais délicatement déposés à la surface de Suzuri. Des mains ont également tissé 45˚37’58.20″N, 74˚19’02.27″O, cette image imposante, paradoxale, offrant le recto et le verso d’une unique prise de vue — celle d’un orme majestueux, s’élevant dans un champ — qui flotte littéralement dans l’espace d’exposition. Sans oublier les mains qui ont fabriqué la spirale de papier de Tapis magique, autre forme compacte, ou la main qui tente de saisir l’insaisissable dans Attraper le temps.
L’univers de Karen Trask est à l’échelle humaine, bien que certaines œuvres aient pris la forme de chantiers ou de performances déployées sur plusieurs mois1.
éléments naturels
L’eau, l’air et la lumière s’imposent comme éléments de la poétique de l’œuvre chez Trask. Un plan d’eau nous livre sa mouvance et sa transparence, Bol de larmes ; une masse d’encre présente une surface miroitante dans laquelle nous pouvons nous abîmer, Suzuri. L’artiste observe le vent qui, par son souffle, soulève et anime les feuilles d’un texte qu’on ne peut lire, Mother Wall. La lumière, quant à elle, permet révélation, projection et réflexion. En effet, celle-ci sculpte un espace ou une forme, trace une ombre, cerne une masse. Trask prête une attention toute particulière aux ombres réfléchies et mobiles dans une pièce où elle a séjourné, Histoire de lumière. Elle filme également la lumière du matin qui glisse lentement sur la paume de sa main dans Speed of Light, où se dessinent des lignes abstraites, ces formes géométriques que certains aiment déchiffrer2.
Karen Trask s’intéresse au défilement, au glissement, au mouvement plutôt qu’à la trace. En cela, l’œuvre est loin d’être empreinte de nostalgie, mais appelle plutôt le présent3. Sensible à ce qui est évanescent, fragile et mobile, l’artiste est absorbée par ce qui passe, qu’il s’agisse d’images, d’ombres ou de mots : le temps qui passe. Elle confie : « Enfant, je m’imaginais les mots existant comme une rivière invisible ou comme un courant d’air autour de moi. »Mouvements.
Geste après geste, mot après mot, lettre après lettre, les œuvres de cette exposition traduisent ce que l’artiste qualifie de « petits riens » : ces expériences insolites où la simplicité a trouvé une forme.
Notes
- Je fais, entre autres, référence au Lit de Proust : En attente d’un baiser (2006) où, pendant un an, Karen Trask a lu À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, allongée dans le lit qu’elle a spécialement fabriqué pour l’œuvre. Par la suite, elle a imprimé les textes sur des morceaux de papier fait main qu’elle a cousus ensemble pour faire la couverture du lit. Cette nuit, Défaire (2008) est conçue à partir de la lecture à haute voix, par une amie, et enregistrée par l’artiste d’Ulysse de James Joyce. Quarante-trois heures d’enregistrement sur bande magnétique sont utilisées comme matériau d’une performance où l’artiste, à l’image de Pénélope, tisse quotidiennement, et ce, durant toute la durée de l’exposition, sur un métier à tisser de sa fabrication.
- Chaque main est une histoire ou un récit qui se modifie au fil des ans.
- Écrire, lire, tisser, fabriquer du papier se font dans le présent.
Nicole Gingras, commissaire