Riens, 2012

Circa art actuel, Montréal

C’est à Paris, en 2008, que Karen Trask rencontre Mallarmé, pour qui elle s’est expressément déplacée. De cette rencontre naît un travail approfondi sur le concept du « rien », dans ce qu’il comprend d’insaisissable, voire de contradictoire, à commencer par son énonciation : penser le « rien », c’est déjà lui donner un corps, c’est renverser l’absence annoncée. En pluralisant le « rien », le titre de l’exposition consolide cette rupture sémantique, relâchant du même coup son potentiel philosophique.

Le papier est ici matière première. Trame neutre et plane, symbolisant le vide, il se prête au jeu de différents médiums.

2012-11-07-TraskRiensCirca062

Riens nothings, artist-book (see pdf of book under artists-books)

C’est à Paris, en 2008, que Karen Trask rencontre Mallarmé, pour qui elle s’est expressément déplacée. De cette rencontre naît un travail approfondi sur le concept du « rien », dans ce qu’il comprend d’insaisissable, voire de contradictoire, à commencer par son énonciation : penser le « rien », c’est déjà lui donner un corps, c’est renverser l’absence annoncée. En pluralisant le « rien », le titre de l’exposition consolide cette rupture sémantique, relâchant du même coup son potentiel philosophique.

Le papier est ici matière première. Trame neutre et plane, symbolisant le vide, il se prête au jeu de différents médiums. Tantôt sculpture, tantôt plateforme multimédia, parfois sujet de vidéos, d’autres fois objet de films d’animation, le papier vierge et pâle trouve dans la notion du « rien » son extension conceptuelle. L’espace fuyant propre à cette notion se reflète également dans les jeux d’ombres qui rajoutent à la grammaire de l’artiste une dimension à la fois poétique et rhétorique. Les reflets sombres des mots taillés dans le papier évoquent des possibilités de lectures multiples, aux consonances parfois humoristiques, mais toujours réfléchies avec attention, cette même attention que l’on retrace dans le traitement délicat et mesuré des matières fragiles qui sont employés ou fabriqués. C’est notamment le cas de la grande toile de papier que Trask a créée morceau par morceau à partir de fibres de lin, plus résistantes, pour ensuite en faire une matière hybride, infiltrée de fibres optiques qui laissent apparaître, par moments, des constellations visibles aux yeux des plus contemplatifs.

« Je vois le ciel comme un voile, comme un grand papier ». Les mots de l’artiste font écho à cette impression, presque romantique, qui se dégage lorsqu’on se tient, dans l’espace déjà vaste de la galerie, devant cette immense feuille de papier qui semble avoir fossilisé un moment particulier de l’univers. Le sublime n’est jamais loin de l’idée du néant. D’ailleurs, tout ces « riens » bougent, ils sont en mouvement. Ce sont des « riens » inscrits dans une temporalité, allant ainsi à l’encontre de l’absence pensée comme statisme. Cette temporalité n’est pourtant pas linéaire ; elle rappelle plutôt une pulsation à la fois cyclique et furtive. L’éternel recommencement du rien.

Au centre de cette recherche de longue haleine, l’écriture s’impose comme un outil vital. Si on trouve les mots dans presque tous les projets de Karen Trask, le livre d’artiste qui accompagne cette exposition en démontre l’envergure littéraire. Le « rien » y rejoint l’amour et la mort, les deux grands balanciers du sensible, les plus forts moteurs du vertige. Les brèches ouvertes sur le vécu de l’artiste, parfois sur certaines expériences des plus marquantes, côtoient des références documentées, des citations essentielles à la problématique qui l’occupe depuis tant d’années. À travers les réflexions de l’artiste, le « rien » entendu comme absence de l’être se révèle dans une déclinaison complémentaire et juste face aux ombres et aux objets qui l’entourent.

Aseman Sabet